1954-1963 : l'épopée Rizzoli

1954-1955, déjà dans la légende

Le dimanche 19 septembre 1954, Milan démarre donc sa saison en accueillant la Triestina à San Siro. Toutes les recrues principales sont sur le terrain : Ricagni en attaque, Schiaffino au milieu aux côtés de Liedholm, et Cesare Maldini donc, que Béla Guttman ne choisit pas d’épargner. La saison précédente, la Triestina de Nereo Rocco avait encaissé un 10-0 en deux matches, le seul Gunnar Nordahl marquant au total 6 buts. A cran, le jeune Maldini, positionné en défense centrale, avait d’ailleurs quelque peu fait monter la température avec l’attaquant suédois… Mais aligné à la place du capitaine Tognon, aligné face à son équipe formatrice, aligné sous les yeux d’un Nordahl devenu son coéquipier et capitaine, Maldini assume. Dès le début du match, il s’impose en patron devant Jensen, l’attaquant de la Triestina. Le « petit » est adopté.

Devant, même partition. Après 16 minutes, Schiaffino fête son premier but sous ses nouvelles couleurs. Deux minutes plus tard, son premier doublé. La vedette de l’équipe tient bien ses promesses. En deuxième mi-temps, Ricagni, l’autre recrue offensive, alourdira la marque, avant que le « Barone » Liedholm ne close le score en fin de match. Pour son baptême du feu, l’équipe de rêve fabriquée par Rizzoli est à la hauteur des attentes des supporters et des journalistes.


« Un Milan poivré », jeu de mots sur le surnom de « Pepe » Schiaffino. Les titres douteux de la presse d’aujourd’hui ne viennent pas de nulle part.

Une semaine plus tard, à Gênes, la Samp est balayée par un triplé de Nordahl : le suédois répond ainsi à Schiaffino, donnant le ton d’une saison qui sera éclaboussée par le talent des deux joueurs. Les matches suivants sont au diapason, et les rossoneri finissent le mois d’octobre avec une septième victoire en autant de match, et une moyenne de trois buts marqués. Le premier accroc survient ensuite dans un derby disputé, au cœur d’un San Siro rempli avec une densité qui ferait frémir les responsables de sécurité contemporains : 50 000 spectateurs… dans un stade où les travaux pour le deuxième anneau n’étaient pas achevés ! Le Milan se rue à l’attaque, l’Inter résiste par une défense de fer. Peu avant la demi-heure, l’arbitre accorde un pénalty au Milan : Liedholm frappe, le gardien repousse ; Nordahl reprend, le gardien repousse encore… sur Liedholm, qui tire au-dessus. Les chroniques noteront que Nesti, l’attaquant de l’Inter, avait été vu en train de glisser un quartier de citron sous le ballon… Et à trop manquer, le Milan voit finalement l’Inter ouvrir le score en début de seconde mi-temps, suite à un mauvais dégagement de Maldini. La fin du match est une débauche d’énergie tournée vers l’attaque, qui portera ses fruits avec l’égalisation de Schiaffino à 5 minutes du terme : le Milan reste invaincu.


San Siro pendant le derby aller

Comme un symbole, le Diavolo reprend ensuite sa marche en avant contre la Fiorentina menée par Gunnar Gren, l’emportant 2-0 grâce à des buts de Schiaffino et Nordahl, laissant toutefois sur le carreau trois dents de Frignani. La série positive finira par s’arrêter à la 11ème journée après une défaite 2-1… face à l’AS Roma, à l’Olimpico. L’enchaînement réalisé sur les 10 premiers matches (9 victoires et 1 nul) sera donc restée sur les tablettes pendant pas moins de 67 ans, avant que les hommes de Pioli ne viennent conjurer le sort sur le même terrain en octobre 2021…

Une fin de série, mais pas de quoi déstabiliser le Milan toutefois, qui écarte ensuite facilement la Lazio et le dauphin juventino, non sans s’être fait peur en fin de match face aux bianconeri. Quatre jours plus tard, le Diavolo accueille le Genoa pour un match riche en symboles. En effet, le Griffon ouvre le score par Carapellese, un joueur que Milan avait rendu en mai 1949 à son club formateur du Torino, dans l’élan national pour la reconstruction du club grenat après le drame de Superga. Après l’égalisation de Schiaffino, c’est ensuite Dal Monte, futur rossonero, qui redonne l’avantage au Genoa… Jusqu’à ce que Schiaffino n’égalise à nouveau, à la 89ème minute.

tuttosport

La Une de Tuttosport après la défaite contre la Roma… Là encore, certaines choses ne changent jamais !

Après la trêve de janvier et un match nul contre Ferrare, Milan reçoit en milieu de semaine l’Udinese, pour un match en retard d’une douzième journée perturbée par la neige. Le premier des trois actes qui changeront le cours de la saison du Diavolo.

Les frioulans, qui stagnent dans la deuxième moitié du classement, sont guidés par Beppe Bigogno, ancien entraîneur des rossoneri et cédé lui aussi au Torino après le drame de Superga. Tout commence pourtant bien, avec un but précoce du danois Soerensen. A la 83ème minute, Nordahl pense mettre définitivement ses coéquipiers à l’abri. Mais devant un San Siro incrédule, Bettini réduit le score à la 86ème, avant d’égaliser dans les arrêts de jeu. Pire, Schiaffino perd son sang-froid et s’en prend à l’arbitre, l’accusant d’être « un vendu, comme tous les arbitres italiens »… Un écart qui lui vaudra 6 matches de suspension.


Schiaffino et Liedholm se disputant le leadership du Milan - allégorie

Le dernier match de la phase aller est bien négocié, mais arrive février, et au coup du sort de la suspension de Schiaffino s’ajoutent la fatigue de nombreux joueurs et les blessures de quelques autres : outre leur attaquant uruguayen, les milanais sont ainsi privés de Ricagni et Liedholm pour le déplacement à Trieste. A la 13ème minute, les locaux ouvrent le score, mais Soerensen égalise 5 minutes plus tard. Trieste reprend l’avantage juste avant la mi-temps, mais Maldini répond à son ancienne équipe en égalisant dès la 50ème. Un soulagement de courte durée toutefois, puisqu’une petite minute plus tard, le jeune défenseur se rend coupable d’un but contre son camp… Les locaux alourdiront ensuite le score, et un dernier but de Nordahl ne pourra pas éviter la défaite : Milan s’incline 4-3 sur la pelouse du 14ème au classement.

Une semaine plus tard, mission rachat pour la réception de la Sampdoria. Liedholm et Ricagni sont de retour, mais ce sont cette fois Buffon et Silvestri qui doivent déclarer forfait. Surtout, un certain Lajos Czeizler a pris place sur le banc de la Doria : « Zio » Lajos, celui qui a mené le Milan vers le titre en 51, celui qui a donné sa bénédiction à son compatriote Béla Guttman lors de son arrivée sur le banc rossonero… Et comme face à l’Udinese de Bigogno, c’est donc un ancien de la maison qui punit le Diavolo : rapidement menés au score, les milanais égalisent par Vicariotto à la 21ème, mais le suspens sera cette fois de courte durée. La seconde mi-temps est à sens unique, et la Samp s’impose 3-1.


Un Milan qui n’est « que l’ombre de lui-même »… Mais les défenseurs de la Samp s’y mettent quand même à 5 (!) pour arrêter Nordahl, le bison

En s’efforçant de prendre du recul, la situation est loin d’être dramatique : si Milan a vu revenir Bologne à un petit point, les rossoneri sont toujours en tête du championnat. Du côté de l’effectif, Schiaffino a purgé la moitié de sa suspension, et tous les joueurs blessés sont de retour. Mais prendre du recul, c’est quelque chose que l’inexpérimenté Andrea Rizzoli n’a pas encore appris à faire… Après une réunion au sommet, Rizzoli, Carraro, Spadacini et Busini prennent la décision de licencier Béla Guttman. Le hongrois accepte et fait ses valises, tout en tirant les leçons de la situation : dans ses contrats suivants, il prendra en effet toujours le soin d’imposer une clause interdisant son licenciement en cas de 1ère place au classement…

Comme souvent dans ces cas-là, c’est l’entraîneur adjoint qui prend le relais. En l’occurrence, Hector « testina d’oro » Puricelli, gloire du Milan d’après-guerre, leader offensif de l’équipe qui avait chatouillé le Grande Torino. A Bergame, le baptême du feu manque de virer au cauchemar, mais Nordahl égalise en fin de match. Grâce au retour des blessés et à celui de Schiaffino, qui le fêtera évidemment en marquant, Milan reprend petit à petit sa marche en avant. Les rossoneri alternent ensuite le bon (victoire 4-0 face à la Fiorentina de Gren) et le plus modeste (nul 1-1 à nouveau arraché dans le derby, grâce à un but de Nordahl cette fois… et encore une fois avec un pénalty raté), mais bénéficie de l’écroulement de Bologne : au soir de la 27ème journée, le Diavolo a 6 points d’avance sur une surprenante équipe de l’Udinese, remontée en boulet de canon dans cette phase retour.


Le gardien de l’Inter en lévitation pendant le derby

Mais alors que Milan semble se diriger vers le titre, l’équipe de Puricelli s’incline pour la première fois, l’AS Roma jouant comme dans la phase aller le rôle du bourreau, d’un 2-0 sans bavures. Le week end suivant a lieu le match au sommet à Udine. En début de deuxième mi-temps, les frioulans rejouent aux rossoneri le même tour qu’à l’aller, marquant deux fois en 4 minutes. Vicariotto a beau réduire le score, l’Udinese est trop forte pour ce Milan, et un dernier but de Schiaffino en fin de match ne pourra empêcher la défaite 3 buts à 2. Pire : à cinq matches du terme, les frioulans reviennent ainsi à 2 points de leurs victimes du jour.


Nordahl dans un duel contre le gardien de la Fiorentina… devant le deuxième anneau de San Siro en construction

Mais il devait être écrit que les efforts de Rizzoli ne seraient pas vains. A l’Olimpico, les Milanais écartent la Lazio grâce à Frignani, Soerensen et Vicariotto ; dans le même temps, l’Udinese concède le nul face à Pro Patria : les milanais peuvent souffler. Une semaine plus tard a lieu le choc contre la Juventus. L’ouverture du score de Boniperti fait courir un frisson dans San Siro, mais Nordahl et Liedholm assureront la victoire aux rossoneri. Arrive enfin le feu d’artifice du mois de juin : tandis que l’Udinese s’écroule finalement, le Milan déroule. A Gênes, les supporters du Griffon tenteront bien de garder les ballons envoyés en tribune, espérant naïvement mettre un terme à la correction (!), mais le Diavolo, impitoyable, s’impose 8-0, grâce notamment à un triplé de Nordahl et un doublé de Schiaffino : les joueurs seront accueillis par une foule en liesse à l’arrivée du train à Milan. Et pour l’anecdote, cela reste à ce jour la plus large victoire à l’extérieur de l’histoire de la Série A, à égalité avec un autre 8-0, infligé par Padoue dans un derby contre Venise en 1949 : les Padovans étaient alors entraînés… par Bela Guttman. Bref : ce Milan est bien trop fort, et une semaine plus tard, à San Siro, Milan écrase SPAL 6-0 avec un quadruplé de Nordahl, et s’adjuge finalement le titre, son cinquième, avec une journée d’avance. Le Diavolo a repris la ville et le pays à l’Inter.


Liesse sur le terrain après le match de la SPAL

Meilleure défense, meilleure attaque avec 81 buts marqués en 34 matches, le Milan en impose. Nordahl, avec 27 buts, termine pour la 5ème fois capocannoniere du championnat. Le pari de Rizzoli est un succès. Pour fêter le titre, le président emmène toute l’équipe au restaurant, au milieu d’une ville en fusion. L’histoire retiendra un peu de tôle froissée, mais surtout l’immense liesse de tifosi pas encore habitués aux victoires. La légende Rizzoli est en marche.


Rizzoli avec le Scudetto

Mais la légende Rizzoli, c’est aussi, surtout, l’Europe. Grâce à son titre de champion national, le Milan gagne le droit de jouer la toute première édition de la Coupe d’Europe des Clubs Champions au cours de l’année suivante. Et en apéritif, celui de disputer à Paris la Coupe Latine, qui réunit chaque été les vainqueurs des championnats italien, portugais, espagnol et français. Trois jours seulement après la fin du championnat, Milan est donc déjà sur le pont, pour défier en demi-finale le Stade de Reims, ce même club qui l’avait sèchement puni en finale deux ans auparavant. Mais malheureusement, de revanche, il n’y a pas eu. Les milanais ouvrent le score par Soerensen, mais le temps réglementaire se termine sur le score de 1-1. En deuxième mi-temps de la prolongation, Liedholm répond au but de Templin et égalise à 2-2. Faute de tirs aux buts, le match continue sous forme de mort subite. Et à ce petit jeu, les milanais finissent par céder, sur un but de Glowacki à la 138ème minute. Dans la petite finale, une équipe remaniée du Milan bat le Belenenses 3-1, grâce à des buts de Ricagni et Nordahl. Las, la consécration européenne de Rizzoli devra attendre.

Pas de quoi altérer l’humeur du président toutefois, qui décide de célébrer le Scudetto de la plus belle des manières, en organisant à San Siro un match de gala face au Honved de Puskas, peut-être la plus belle équipe européenne de l’époque. Devant les 60 000 personnes massées dans un San Siro toujours en cours d’agrandissement, les Hongrois commencent par réciter leur partition, menant 2-0 après 36 minutes de jeu. Mais les rossoneri ne s’avouent pas vaincus : un but de Ricagni juste avant la mi-temps rouvre le match, et Soerensen égalise sur pénalty un quart d’heure après la reprise. Et comme un symbole, c’est Schiaffino qui vient venger la demi-finale de la Coupe du Monde perdue contre la bande à Puskas en marquant le but décisif. Rizzoli peut finir l’année avec le sourire, son Milan est au sommet.


Puskas et Nordahl

carraro schiaffino

Carraro remettant un prix à Schiaffino après le titre national

8 « J'aime »