1954-1963 : l'épopée Rizzoli

Des hommes, un club

La prochaine fois que vous lirez la gazzetta dello sport, jetez un œil aux petits caractères. Le journal milanais est édité par RCS MediaGroup, propriété d’Urbano Cairo bien sûr, mais dont le nom renvoie surtout par ses initiales à Rizzoli et au Corriere della Sera, le plus beau bijou du pays, ajouté à la couronne familiale par Andrea Rizzoli en 1974, qui l’avait alors acheté à Angelo Moratti et Gianni Agnelli. C’était l’apothéose risquée (trop risquée) d’une aventure entrepreneuriale initiée au début du siècle par son père Angelo Rizzoli, le « cumenda » sorti de la misère, indéboulonnable et indépassable statue de commandeur de la famille. A l’aube de la grande guerre naissent Andrea ainsi que les première briques du futur groupe, qui édite alors des journaux, puis des livres, avec le même succès.

La suite de l’histoire, sur trois générations, mériterait un livre entier. On se consacrera plutôt au parcours d’Andrea Rizzoli, qui rentre très jeune dans l’entreprise familiale, et se construit difficilement en opposition à un père qui ne lui pardonnera jamais vraiment de ne pas être né pauvre comme lui. Taciturne, silencieux, renfermé, Andrea se cache dans d’immuables costumes sombres, n’aime pas les photographes. Prudent, sceptique, il n’en est pas moins intelligent et charismatique, et cerne rapidement ceux qu’il côtoie, s’entourant d’hommes de valeur. Ce qui nous emmène à Giangerolamo « Mimmo » Carraro, et à un autre pan de l’empire Rizzoli.

Qu’ont en commun le film culte La Dolce Vita et la comédie populaire Gli eroi della domenica, à part la présence de Mastroianni ? La réponse se trouve en bas de l’affiche, du côté du distributeur : la Cineriz, pour Cinema Rizzoli, bien sûr. Après avoir épousé la sœur d’Andrea, Mimmo Carraro rentre également dans l’empire Rizzoli, et plus particulièrement dans sa société de production et de distribution cinématographique. En 1951, la Cineriz souhaite produire un film sur le football, et en bons milanais, les dirigeants s’intéressent plus particulièrement au déjà mythique GreNoLi. Le contact avec le président Trabattoni est pris, tout le monde joue le jeu, et c’est la naissance d’un grand film populaire auquel participent de bon cœur Gren, Nordahl et Liedholm, mais aussi Buffon, Annovazzi ou Tognon, et bien sûr Lajos Czeizler, tous les acteurs qui viennent de redonner son lustre au blason du club.

« Les héros du dimanche », c’est sûrement l’un des derniers barreaux de l’échelle des ambitions et des rêves de deux hommes. Mimmo Carraro, donc, biberonné au Milan Football Club par son père. Et un troisième larron, Giacomo « Mino » Spadacini, passionné (et abonné) des rossoneri depuis son enfance, employé lui aussi du groupe Rizzoli, ami de Carraro, et qui ne manquait pas une occasion d’encourager Rizzoli à prendre les rênes de son club de cœur.

A la surprise générale, le travail de sape porte ses fruits et le patriarche Angelo donne son assentiment, à la condition que le club ne leur prenne pas trop de temps sur les activités « sérieuses » du groupe, et que cela ne coûte pas plus de 10 millions par an… Dont acte. L’acquisition proprement dite ne coûte qu’une signature et une poignée de main, en plus de la promesse de régler les dettes et les taxes restantes. Andrea Rizzoli devient président, assisté de Mimmo Carraro et Mino Spadacini. Toni Busini, le bras droit historique de Trabattoni, prend le poste de directeur sportif.


De gauche à droite : Rizzoli, Spadacini, Carraro

Entre les mains de Rizzoli, il y a une équipe aux bases solides, où tout n’est certes pas à faire, mais qui cherche incontestablement un nouveau souffle. Petit retour en arrière : emmenés par l’entraîneur hongrois Lajos Czeizler et le mythique GreNoLi, le Milan a en effet remporté en 1951 son quatrième Scudetto, le premier depuis la scission de 1908, mais n’a pas ensuite réussi à confirmer. L’année suivante, c’est la Juve qui prive le Diavolo du doublé en remportant son neuvième titre, et « zio Lajos » quitta le club en fin de saison. En 52-53, c’est au tour de l’Inter de s’imposer, Milan échouant à la troisième place. Surtout, après l’ultime match de la saison et une cinglante défaite 3-0 face au Stade de Reims en finale de Coupe Latine, une nouvelle page se tourne avec les départs de Renzo Burini, du capitaine Carlo Annovazzi et surtout de Gunnar Gren, « Il professore ». Après quatre petites années et un titre historique, le GreNoLi n’est plus.

Quelques semaines après le début de la saison 53-54, les dirigeants tentent de donner un nouvel élan à une équipe affaiblie en recrutant l’entraîneur Béla Guttman. Professeur de danse dans sa prime jeunesse, diplômé en économie et investisseur ruiné par le krach de 1929, entraîneur de plus de 20 clubs en 40 ans, la carrière et l’histoire du hongrois mériteraient là encore un roman, on y reviendra. On retiendra ici son charisme et son caractère pour le moins difficile, ainsi que son goût pour un jeu offensif et collectif, symbolisé par sa tactique de prédilection, un innovant 4-2-4 expérimenté en Amérique du Sud. Si la sauce finit par prendre, Guttman ne peut toutefois faire mieux que la saison précédente, laissant le rival interiste remporter son septième Scudetto.

On en arrive donc à l’été 54, alors que le trio formé par Rizzoli, Carraro et Spadicini viennent de prendre place à la tête du club. Avec des ambitions à la hauteur du nom du nouveau président.

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