Je suis pas mal gêné par ce post et la position d’arbitre que tu prends, non pas dans l’absolu (après tout ce débat pourrait bien bénéficier d’un animateur) mais en ce que tu poses des opinions en postulats, ériges en autant de points de départ des éléments qui peuvent, qui doivent être discutés.
Statuer qu’une certaine « vision des choses [soit] impossible », poser des limitations définitives (« Tu peux pas exiger de ceux qui génèrent l’argent qu’il acceptent de ne pas être payés à la hauteur de leur importance »), en arriver à tomber sur ce quasi point terminal de tout débat qu’est le on-n’est-pas-dans-le-monde-des-bisounours (« si la vie était si facile ça se saurait » ; « ça ne marche pas ainsi », etc), non seulement c’est d’une condescendance assez déplacée dans la forme, mais c’est aussi un biais dans le débat, un postulat regrettablement limitatif.
Plus largement, de très nombreux commentaires ici et ailleurs considèrent que quoi qu’on pense du fond de la SL, l’essentiel est finalement qu’on doive avant tout être « réaliste », s’en accommoder, accepter l’inéluctable, regarder en face qu’on est désormais allés trop loin pour faire marche arrière. Et je trouve vraiment ironique de voir les contempteurs du projet être accusés d’une banale « résistance au changement » : au contraire, en quoi n’avoir que la SL comme horizon est-il autre chose qu’un biais de statu quo, qui prolonge par facilité la période actuelle dans le futur immédiat ?
Ce qu’il se passe dans le foot s’inscrit dans une logique sociale et économique continue depuis les années 80, c’est un fait : mais constater que ça dure depuis 40 ans ne veut pas dire que c’est le sens de l’histoire, que cela a toujours été comme ça, et que cela sera toujours pareil. On peut parfaitement voir plus grand, et regarder dans le rétro peut suffire.
Je reprends encore la phrase : « Tu peux pas exiger de ceux qui génèrent l’argent qu’il acceptent de ne pas être payés à la hauteur de leur importance ». Pourquoi pas ? Prendre cet état de fait comme un postulat indépassable, c’est évidemment la vision du monde de Pérez et Agnelli, mais après ? C’était la vision de Carnegie ou Rockefeller, et il y a bien un moment où c’est devenu socialement inacceptable et où ils ont subi une remise en question politique ; une remise en question contenue vue de 2021, mais monstrueuse en 1870. C’était la vision de Thiers ou de Say quand ils hurlaient contre la progressivité de l’impôt, et ça c’est pourtant imposé comme quelque chose de naturel. La concentration des richesses et la croissance des inégalités est une évidence contemporaine, mais c’est loin d’être linéaire historiquement, et je trouve fort de café de prendre en dérision ceux qui le remarquent.
On peut penser que la vision de Perez tient debout économiquement, et que la SL est ce qu’il manque pour remettre d’aplomb les clubs. On peut aussi penser qu’il se trompe et que son modèle n’est pas viable, économique ou sociétalement. Son idée repose sur une augmentation monstrueuse des revenus de la diffusion TV : il peut en être convaincu, moi je demande vraiment à voir, mais en tout cas c’est un pari, et rien ne permet aujourd’hui de dire qu’il a raison.
Il suppose une élasticité parfaite de la demande en images TV vis-à-vis (d’une certaine idée) du spectacle sur le terrain ? Fort bien, mais ça reste une hypothèse ! J’ai été sidéré de lire plus haut que ça allait forcément marcher parce que ces braves gens « savaient forcément ce qu’ils faisaient » : c’est précisément là que je vois la « naïveté » renvoyée plus haut à ceux qui imaginent un autre football. Mediapro a fini par exploser en France avec le Covid mais leur pari était douteux bien avant cela, en pariant sur des recettes qui n’avaient aucune chance d’arriver. Plus largement, que ces dirigeants et banquiers soient surs d’avoir raison, ou plus cyniquement, qu’ils se disent que même s’ils ont tort ils seront « too big to fall », c’est un pari qu’a tenté et perdu Lehman Brothers et tant d’autres. Ce n’est pas parce qu’on est habitués aux chiffres qu’on a toujours raison, on a 150 ans d’histoire financière qui le montrent.
On est dans une course en avant économique dont la déconnexion de la réalité a tous les traits de la bulle ; historiquement, celles-ci ont généralement tendance à éclater dans la douleur. On court derrière des revenus, qui font enfler les dépenses, qui entretiennent la course en avant des revenus : mais comment prétendre avec autant d’assurance que cela peut être sans fin, que cela va forcément marcher ? On est montés très haut en Italie au tournant des années 2000, avec déjà le dopage aux droits TV et la béquille des plus-values fictives : pour mémoire, ça s’est mal terminé pour certains. Ne peut-on pas imaginer que des CA à 1Md€ demandent des revenus impossibles à atteindre, et que le point d’équilibre est fictif ? Ne peut-on pas imaginer que la décorrélation croissante entre le salaire des stars et celui du reste de la société finisse par devenir intolérable dans un monde en crise économique ?
L’UEFA a de nombreux défauts, mais j’espère vraiment que sa détestation peut engendrer des idées permettant un changement de modèle, plutôt que sa perpétuation en pire. On peut penser que cela n’arrivera pas, mais on ne peut pas dire que c’est simplement impossible.
Ce topic déchaîne les passions parce qu’il est éminemment politique, dans un sens assez noble du terme, on échange au fond sur des valeurs et des visions du monde, ce qui est plus fécond que disserter de l’apport de Castillejo, même si c’est potentiellement plus glissant. Je trouve que c’est important de l’accepter et d’être vigilant les uns et les autres sur le degré d’ouverture et d’attention qu’on s’offre les uns aux autres, par respect mutuel et pour la bonne tenue des échanges.